c’était l’entrée avec un carrelage jaune moucheté de minuscules taches,
un carrelage 5X5 cm comme on en fait plus ;
c’était le linoléum du séjour d’un rouge sombre presque marron
datant certainement de la construction de l’immeuble ;
c’était l’interrupteur du salon qui fonctionnait de manière aléatoire,
le temps des couvertures et des dessus de lit moutarde ;
c’était le bruit de l’ascenseur qui arrivait au dernier étage ;
la sonnette retentissait d’une façon certaine ;
c’était la sonnerie du téléphone à cadran rotatif
avec une place pour les doigts, dont les cliquetis ne sont plus ;
c’était trois chaînes de télévision et
déjà nous n’étions jamais du même avis ;
c’était les regards qui se tournaient avec une lueur de soulagement
vite effacée ; ne pas montrer son intérieur ;
c’était des inquiétudes ignorées et incomprises
que seules les années nous laisseront entrevoir ;
c’était la vue de la fenêtre qui agrandissait chaque pièce
tellement on voyait jusqu’à l’horizon ;
c’était l’insouciance, loin de toute indifférence,
qui faisait glisser sur notre peau tous les malheurs du monde ;
c’était une chaleur et une sécurité qui nous réchauffaient
quand les hivers étaient rudes ;
c’était la vie d’avant, celle d’un bonheur disparu
qui prend de nouvelles couleurs chaque fois qu’on y pense ;
des couleurs invisibles dans le monde d’aujourd’hui ;
c’est un parfum, un goût, une vision à jamais disparus
et pourtant encore si présents dès que l’on ferme les yeux ;
c’est une émotion inconnue qui nous a étreint
dès l’instant où nous sommes devenus parents ;
c’est un temps que nous ne pouvons plus retrouver,
sauf en fermant les yeux ;
c’est un temps que désormais nous donnons
texte écrit dans le cadre des ateliers du mardi de Tiers Livre/François Bon, à partir d’un extrait de Ameublement de Julien Maret,
(Corti, 2014).