Le reconnaissez-vous ?

Il s’est fait à l’idée de n’avoir plus de pays. Contrairement à ceux qui sont restés, il a pu échapper aux souffrances. Mais cela n’a pas suffit pour qu’il puisse continuer. Que l’allemand soit devenue la langue des bourreaux est insupportable. Il laisse ses affaires en ordre. Sa voisine Margarida prendra soin de Plucki, son fox terrier. Il écrit quelques recommandations. La gouvernante et le jardinier ne sont pas là, nous sommes dimanche. Des cris d’oiseaux entrent par la fenêtre, le rideau se soulève sous l’effet d’un vent léger. Le loyer de mars est réglé. Une lettre pour Friderike est posée sur le bureau, elle seule pourra comprendre. À une soixantaine de kilomètres de là, le carnaval bat son plein. La joie se déverse dans les rues, le corps des danseuses ondule au son des percussions. Pourtant, le monde agonise, son impuissance lui est intolérable. L’asthme de Lotte s’aggrave. Il est allé voir Georges, il y a quelques jours mais il n’a pas repris espoir malgré les efforts de son ami. Chacune de ses pensées est voilée de deuil. Il s’allonge sur son lit après avoir bu une forte dose de Véronal. Lotte l’accompagne pour l’éternité. L’un contre l’autre, ils se disent leur amour en fermant les yeux au même moment. Pétropolis, le 22 février 1942

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