Portraits d’enfance

Le père Tony
Dans un hameau, à quelques kilomètres de Nevers, le père Tony vit dans une vieille maison de pierres, les fenêtres sont encadrées de volets en bois bleu ciel. En face de chez lui, la maison de son fils surplombe un talus, une maison moderne avec des volets blancs derrière laquelle s’étend un champ de maïs. Deux fois par jour, accompagnée d’une jeune chienne blanc et marron, le père Tony traverse la route raclant ses gros godillots contre le gravier. Le vieil homme porte une salopette bleue, on ne lui connaît pas d’autre tenue. Il marche en balançant ses bras de chaque côté d’un grand corps, le dos à peine voûté. Il parle peu. Le père Tony salue en agitant de longs doigts. Très tôt le matin, il ouvre les volets de la maison sur le talus, et le soir avant le coucher du soleil, il refait le même chemin pour les refermer.
Marie-Thérèse
On reçoit peu de gens à la maison. Il ne vient du monde que le dimanche, à déjeuner pour les très proches et l’après-midi au café pour les proches. Marie-Thérèse et Miloud viennent l’après-midi. Marie est une femme délicate à la voix douce. Elle apporte un petit quelque chose pour chacun. Elle gâte maman, lui offre des eaux de parfum aux senteurs légères et fleuries. Son regard attentionné se pose sur moi. Elle m’interroge sur mes goûts. Pendant que les adultes boivent le café assis autour de la table du séjour, j’observe Marie-Thérèse. Une chevelure grise, pas encore blanche. Une voix aussi douce que son regard. Un sourire qu’elle retient, non par timidité, mais plutôt par modestie, une façon d’être.
Madame L.
Madame L. observe d’un air sévère, apprécie d’un hochement de tête volontaire quand on lui adresse la parole. Elle pince les lèvres lorsqu’elle n’est pas d’accord. Cet air dur assoit son autorité. Sur quoi, sur qui, je ne le sais pas très bien. Madame L. garde les lèvres serrées. Un air presque réprobateur. Elle n’est pas méchante mais elle m’impressionne, elle m’effraie presque. Chez elle, on entend le tic-tac d’un gros réveil qu’elle remonte tous les matins. Sur le buffet du séjour, la photo d’un grand berger allemand, aucune photo de son mari. Tout est rangé, pas de poussière. Le stylo noir et un bloc de papier à lettres avec des lignes. Mon père l’apprécie, elle l’aide dans les tâches administratives, cela fait d’elle une personne importante. Très douée en courrier Madame L. avec son écriture serrée comme ses lèvres, bien droite comme sa posture. Quand elle parle, on aperçoit un éclair brillant dans sa bouche, le métal de crochets maintenant en place un appareil dentaire. Madame L. est à l’aise dans ce rôle sévère comme si elle s’appuyait dessus pour être, comme si cette dureté cachait au monde ce qu’elle ne voudrait pas montrer.

4 thoughts on “Portraits d’enfance”

  1. Oui c était la vie des campagnes
    …merci pour ce doux souvenir
    La prochaine tu parleras de la chasse aux libellules dans la rivière 😉👍

  2. L’apparition du « je » arrive tardivement, elle surprend un peu mais est aussi une évidence. Pourquoi l’avoir retardée ? Sinon très bel atmosphère douce et mystérieuse (mais ce n’est pas le mot qui convient, je l’utilise par facilité)
    En tout cas bravo et merci

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