Plaidoirie

© pexels-pavel-danilyuk-8112193

Mesdames, Messieurs les jurés, Plaise à la cour,
Aujourd’hui, nous avons la tâche difficile de défendre une mère de famille infanticide. Cette petite femme, recroquevillée dans le box des accusés, Mesdames, Messieurs les jurés, a tué ses propres enfants et un malheureux enquêteur de l’Insee, qui se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment.
Madame X a tué dans un moment de folie terrible trois de ses enfants. Mais avant que vous ne vous prononciez, nous voudrions revenir sur la vie de cette femme. Une vie de misère, une vie solitaire, seule avec ses enfants.
Cinq enfants dont trois lourdement handicapés, seule à faire face pour élever ses enfants, seule depuis le suicide de son mari, seule pour porter une famille de six personnes à bout de bras.
Mesdames, Messieurs les jurés, Madame X est seule, Madame X est une laissée pour compte de notre société. Elle vit sur un terrain vague, et n’a pour voisin que les chats errants. Pas d’eau courante, pas d’électricité, pas de chauffage en hiver.
Mesdames, Messieurs les jurés, combien d’entre nous auraient supportés de telles conditions de vie ?
Je me tourne vers Monsieur l’Avocat général, vous qui allez requérir la peine capitale[1], je me tourne vers Mesdames et Messieurs les jurés, la cour, avant de délibérer, posez-vous cette question en toute honnêteté : combien de temps auriez-vous tenu sur ce terrain vague ?
Mesdames, Messieurs les jurés, Madame X a besoin d’aide pour reprendre les rennes de ce qui lui reste de famille. Souvenez-vous qu’il lui reste deux enfants. Nous avons le devoir, nous, la société, les bien-portants, de l’aider à se reconstruire pour ses deux enfants. Nous ne pouvons pas faire de ces enfants des orphelins et créer de nouveaux laisser pour compte.
Ces enfants ont le droit de retrouver leur mère, de pouvoir venir la voir en détention, de garder un lien avec elle.
Nous n’étions pas là lorsque Madame X était dans la détresse et le dénuement le plus total.
Nous n’étions pas là quand elle servait à ses enfants l’unique repas de la journée : des tartines et du chocolat au lait.
Aujourd’hui, Mesdames, Messieurs les jurés, vous représentez notre société. Cette société malade qui ne sait pas tendre la main aux plus fragiles.
Montrez votre clémence, c’est un drame de la pauvreté qui s’est joué sous nos yeux alors que ceux-ci regardaient ailleurs.
Je demande un placement en établissement psychiatrique pour reconstruire Madame X.
Aujourd’hui, Mesdames, Messieurs les jurés, je vous demande de ne pas détourner les yeux et de poser un regard bienveillant sur Madame X.

[1]     Nous sommes en 1978, la peine de mort n’est pas encore abolie.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *