Suzanne

© Compartment C, car 293, Edward Hopper, 1938, Huile sur toile 50,8 x 45,7 collection IBM, Armonk, New York

Tu sembles si loin
Si proche à la fois
Dans l’ordre incertain
D’un silence bourgeois
Voyageuse solitaire
Entourée de mystère
Les pages que tu lis
Nous cachent ton regard
Te cachent-elles aussi
Qu’une guerre se prépare

La radio passe en sourdine une chanson. Le téléphone sonne, Suzanne répond rapidement pour préserver la quiétude de ce dimanche matin. Elle écoute et raccroche lentement. Ses yeux brillent. Envahie par une immense lassitude, elle n’a pas la force de s’habiller. Elle ne porte que ses ballerines noires. Elles sont confortables. Rien sur sa peau, tout lui pèse. Le vêtement l’oppresse et l’entrave, ce n’est qu’une partie d’un tout insupportable. Elle se sent seule.
Personne n’est encore levé. Dans la rue, il n’y a pas grand monde. Le soleil caresse ses bras, elle se cale dans son grand fauteuil de velours comme dans les bras d’un ami réconfortant. Exténuée par ce silence, elle attend un réconfort qui ne vient pas.
Son cœur est plein de non-dits. Les secrets sont comme la viande faisandée, plus on attend, plus ça sent. Impossible de les oublier, ils pourrissent à l’intérieur. Avec le temps, le poids des mots que l’on n’a pas prononcé est terriblement lourd. Ce matin, elle ne peut pas bouger.
Cette journée ensoleillée lui apporte un peu d’énergie. Elle espère que demain le temps n’aura pas changé. Le travail au magasin sera moins pénible, les clients plus agréables. Suzanne travaille dans un supermarché bio, si on lui avait dit qu’elle vendrait des graines et des légumes cultivés sans pesticide, elle aurait bien ri en soufflant la fumée de cigarette au visage de son interlocuteur. Maintenant elle ne fume plus, évidemment.
Hier, Clarisse est venue partager leur dîner. Cette écervelée parle toujours sans réfléchir, tout ce qui lui passe par l’esprit ressort aussitôt par la bouche, comme si son cerveau ne pouvait rien garder. Personne ne lui demande son avis, mais elle le donne. Jacques a éludé les allusions au passé.
Suzanne s’enfonce davantage dans le fauteuil de velours, soupire et ferme les yeux. Elle entend le tic-tac du réveil, elle écoute le cœur de sa famille battre constant et régulier. De l’eau coule dans la salle de bains, Jacques s’est levé sans qu’elle ne l’entende. Dans quelques instants, l’odeur du café s’insinuera dans la maison, puis Jacques partira au bureau. Il s’investit entièrement dans cette nouvelle enquête. Il y a quelques semaines, le grand Charles l’a contacté pour une recherche de personne. Cet homme « d’affaires », a la main sur les trois arrondissements chauds du nord de Paris, le XVIIIe, XIXe et XXe arrondissement. Il a demandé à Jacques de retrouver Kate, sa régulière depuis 35 ans. Kate et Charles forment un couple solide, leur attachement l’un pour l’autre n’est un secret pour personne. À première vue, rien ne laisse penser que Kate l’a quitté ou qu’elle a été enlevée. Elle s’est évaporée. Le caïd ne laisse rien paraître, mais Jacques a senti le désespoir de l’homme qui a perdu le pilier central de sa vie.
Depuis qu’il a cette affaire, Jacques ne cesse de penser à Suzanne et à ses silences. Il y a dix ans qu’ils s’en étaient remis l’un à l’autre sur un coup de cœur. Ils ont eu Léopoldine deux ans après leur installation rue Lecourbe dans le XVe arrondissement. A l’époque, ils vivaient dans un deux pièces. Victor est arrivé trois ans plus tard. Ils ont déménagé à Malakoff, dans une petite maison avec un jardinet bordé d’althéas.
Il y a dix ans, ils s’étaient arrêtés dans une petite station essence, avant Salon-de-Provence, un endroit du bout du monde comme on en imagine plus. La route semblait s’arrêter à la pompe à essence avant de disparaître dans les bois – c’était un emplacement étrange pour une station-service. Il y avait un pompiste, un homme âgé, échappé des années soixante-dix.
Les voitures avaient déserté ces routes secondaires pour l’autoroute, et cette station faisait de la résistance contre le temps qui passe. Dans leur euphorie, ils avaient vu dans cet endroit le signe avant-coureur d’un monde nouveau qui s’ouvrait à eux, d’un monde où tout était possible, d’un monde où ils pourraient profiter d’une part de bonheur.
Ils avaient repris la route heureux et insouciants, Jacques avait évité l’autoroute et Lyon, où Marcel connaissait beaucoup de monde. Ce dernier dormait comme une souche lorsqu’ils étaient partis, il ne se lèverait pas avant midi, ça leur laissait le temps de s’éloigner.
Ils avaient emprunté des petites routes et avaient contourné les grandes villes. Ils étaient passés par l’Auvergne. Ce n’était pas le chemin le plus court mais c’était assurément le moins dangereux.
Ils avaient démarré tôt le matin lorsque les noctambules rentraient se coucher et que les travailleurs n’allaient pas tarder à sortir de chez eux. C’était l’été, Suzanne avait laissé le chant des cigales et la cité phocéenne. Elle avait suivi cet inconnu et ses promesses de bonheur.
Cet homme la chavirait, sa sérénité l’éblouissait, il avait la carrure pour la sortir de cette vie misérable faite de rencontres des quelques instants, de violences et de solitude. Dans ses bras, elle se sentait à l’abri, une grande force émanait de ses silences. Son calme lui faisait tant de bien.
Pour Jacques, l’enjeu avait été simple, cette femme le remuait comme personne. Il était en mission de surveillance à Marseille, pour une grosse entreprise de savon, une vague histoire de veille technologique à bulles. La mission terminée, il ne pouvait pas remonter sur Paris sans elle. Jacques n’était pas un sensible, après 15 ans passés à la brigade des mœurs, il avait ouvert son agence de détective. Il avait vu ce que l’homme pouvait faire de pire, puis, il avait quitté la grande famille de la police, pas pour ce qu’il avait vu, mais parce que le système ne fonctionnait pas. Il était parti avant de commettre l’irréparable.
Depuis qu’il recherche Kate, une petite voix intérieure chuchote en permanence à son oreille des messages d’alerte qu’il ne comprend pas. Il appréhende un retour du passé. Si Marcel, le proxénète qu’avait fui Suzanne, l’avait retrouvé, le réseau de Charles l’aurait remarqué. Un caïd avec l’accent du sud, ça se remarque le soir.
Quelque chose cloche concernant la disparition de Kate. Elle partage la vie de Charles depuis plus de trois décennies, drôle de timing pour faire sa valise. Le plus surprenant, avant de se caser, Kate faisait les 100 pas sur le bitume parisien… Il y a 38 ans, elle s’appelait Dorothy James, elle a mis au monde un garçon qu’elle a abandonné ou placé. Jacques n’a pas pu retrouver la trace de cet enfant qui devrait avoir son âge aujourd’hui.
Jacques poursuit son enquête. Il recherche Kate, écume Paris, passe sur ses traces, mais depuis une vingtaine de jours, rien. On ne l’a vu nulle part.
Charles dépérit à vue d’œil, il a maigri et s’inquiète pour sa moitié. Jacques a commencé ses recherches par les services d’urgence. Aucun malaise signalé sur la voie publique ne correspond à la description d’une british d’un âge certain aux allures de Jane Fonda. La sexagénaire a disparu sans laisser de traces. Marcel reste présent dans l’esprit de Jacques. Il fronce les sourcils en pensant à Suzanne et à ses silences. D’ordinaire, c’était lui le taiseux. Elle était la joie de vivre, l’exubérance. Quelque chose qu’il ne peut pas encore identifier le fait tiquer. Marcel n’avait pas contacter Suzanne, il s’en serait aperçut, il l’aurait senti.
Tous les jeudis matin, Kate se rend au spa du Royal Monceau. Après les massages et soins divers, elle déjeune avec quelques bourgeoises, habituées du lieu. Mais depuis trois semaines, elle leur a fait faux bond.
Kate a un penchant avéré pour le jeu, Jacques a fait le tour des hippodromes, d’Auteuil à Longchamp en passant par le Casino Barrière d’Enghien-les-Bains. Elle est connue dans ces différents endroits mais cela fait plusieurs semaines qu’elle n’y a pas mis les pieds.
Depuis qu’il la recherche, Jacques a pris pour habitude d’appeler Charles chaque soir pour lui faire part de ses recherches qui ne donnent pas grand-chose. Jacques compte sur les informateurs de Charles, aucun retour pour le moment.
***
Voyageuse solitaire
Entourée de mystère
Est-ce que tu fuis dans ce train
Quelque amant
Qui chercherait à briser ton silence
Est-ce que tu fuis dans ce train
Quelque enfant
Qui volerait ton indépendance

Suzanne ferme les yeux. Le clown triste lui revient en mémoire. C’était le plus drôle de ses habitués, toujours à faire des blagues. Il lui remontait le moral quand il venait. Ce client lui faisait du bien, elle aurait payé pour le voir si Marcel n’avait pas été dans les parages. À cette époque, elle dissimulait sa pâleur sous un maquillage outrancier qui lui servait de carte de visite. Il n’y avait rien à ajouter et cela lui convenait. Elle arpentait la corniche tous les soirs dans un sens, puis dans l’autre, passant devant les terrasses d’été éclairées par des lampions. Elle faisait les cent pas devant les cafés, les boutiques attendant qu’on l’accoste, qu’on l’invite. Elle passait fièrement, le menton légèrement levé devant les bourgeoises qui s’accrochaient au bras de leur mari.
C’est en faisant le pied de grue le long de la corniche qu’elle avait rencontré Jacques un soir d’été. Il était un peu rond, et elle un peu seule. Ils se sont revus et sont partis ensemble. Marcel ne doit pas avoir digéré le départ d’une gagneuse comme elle.
Toujours parfait, Jacques n’a jamais eu un mot de travers sur sa vie d’avant, même quand ils se disputaient. Elle repense à tant de choses ces derniers temps.
***
Voyageuse solitaire
Entourée de mystère
Le soleil couchant
Joue avec l’horizon
Et tes sentiments
Se cherchent une raison

Suzanne, le regard dans le vague, revient au présent. Le passé remonte si vite, si fort. Elle ne peut s’empêcher de penser aux enfants. Et si un jour ils apprenaient son passé. Quelle serait leur vie si Marcel revenait la prendre… Elle n’a jamais regretté d’avoir suivi Jacques. L’idée la ronge depuis ce coup de téléphone. Elle est tétanisée en pensant à Léopoldine.
Le regard perdu dans le vide, son expression se détend à l’évocation intérieure de sa vie d’avant. Regretterait-elle une certaine liberté ? Elle était légère mais elle n’était pas libre, il y avait Marcel, les passes, les coups. Les femmes légères ne sont jamais libres.
Jacques travaille de plus en plus tard. Suzanne ne se sent pas délaissée. Quand il rentre, il se débarrasse de sa journée dès qu’il enlève sa veste. Les enfants le comblent, il les aime, plus qu’il ne s’aime lui-même. Cette petite vie de famille tranche avec son quotidien fait d’enquêtes très différentes les unes des autres. Un matin il part habillé en costume cravate, puis le lendemain c’est une journée de planque dans la rue en jean et basket.
Jacques refuse les affaires douteuses, il choisit avec soin ses dossiers. Sollicité par des entreprises qui veulent protéger leurs brevets, les travaux en cours ou dévoiler des fraudes, il évite les affaires de mœurs ou de droit de la famille. Il a pourtant accepté la recherche de personne proposée par Charles. Il a avec le grand Charles une relation de confiance étonnante, presque filiale.
Sa curiosité et sa persévérance dans son travail font de lui un enquêteur hors norme et très apprécié. S’il avait voulu, il saurait déjà, d’où il vient, qui était sa mère, son père, pourquoi elle l’avait abandonné, etc. Peut-être avait-il déjà fait ces recherches. Peut-être était-il parti à la recherche de son passé, ce qu’il avait trouvé ne lui avait pas plu. Il avait tiré un trait dessus.
Suzanne s’interroge sur cette inquiétude et cette tristesse qui ne la quittent jamais. Cette vision du monde toujours en noir et blanc et dans les meilleurs jours en nuance de gris. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les couleurs appartiennent à son ancienne vie.
***

Suzanne est allée au bureau la semaine dernière pour retrouver Jacques, ils avaient convenu de dîner en ville. Clarisse était arrivée en retard pour s’occuper des enfants. Suzanne avait débarqué en courant dans le bureau de Jacques vers 21 h 30. Elle fut surprise de trouver la secrétaire encore sur place. Jacques ne lui avait jamais parlé des heures supplémentaires de la secrétaire. Il parlait peu de son travail.
Elle l’aurait suivi en enfer, ils ne devaient jamais rien se cacher, c’était la promesse qu’ils s’étaient faite quand elle l’avait suivi sans savoir où elle atterrirait. Jacques savait tout cela, elle n’avait pas besoin d’insister.
Elle avait un drôle d’air la secrétaire, avec ce rouge à lèvres trop rouge. Les regards langoureux qu’elle posait sur Jacques étaient pathétiques. Elle était coiffée sobrement, pourtant elle lui rappelait sa vie d’avant avec sa robe moulante qui laissait deviner ses sous-vêtements et exhibait un postérieur bien rond. Suzanne songea, amusée, qu’elle faisait un peu pute. Jacques s’est levé, après avoir expédié la secrétaire, ils ont passé un moment au bureau à se rappeler l’un à l’autre, dans le noir, les mains caressant fiévreusement la peau de l’autre.
***

Jacques est à l’agence, quand Charles l’appelle.
— Un gars à l’air mauvais cherche après des rousses plantureuses. Jacques reste silencieux.
— Il a une Lincoln continental noire, tu sais ces voitures américaines avec ces portes à la con.
Un frisson lui remonta le long du dos jusqu’à la racine des cheveux.
— C’est bien lui confirme Marcel.
Il y a 10 ans Marcel avait crevé les yeux d’un gars qui lui avait rayé l’aile droite, il avait eu la maladresse de répondre qu’il ne l’avait pas vu.
— Je t’envoie le Gros et le Nain pour te seconder.
Ce duo hors du commun est la meilleure garde rapprochée de Charles. En raccrochant, Jacques fonce vers la maison, d’autant plus vite que Suzanne ne répond pas à ces appels.
Il trouve Clarisse qui fait dîner les enfants. Suzanne n’a confiance qu’en son amie écervelée pour faire la baby-sitter.
— Clarisse, vous avez vu Suzanne aujourd’hui ? dit-il en embrassant Léopoldine et Victor.
— Non. Elle m’a laissé un message pour prendre les enfants à l’école et m’en occuper jusqu’au coucher.
Il va dans la chambre, ouvre les placards et constate avec soulagement qu’elle n’a pas fait ses valises. Quelque chose cloche.
— Clarisse, vous pouvez rester ? J’ai beaucoup de travail. Je ne serai pas là une bonne partie de la nuit.
Léopoldine le regarde le visage sérieux. Clarisse confirme sa présence d’un hochement de tête. Elle n’est peut-être pas si stupide que cela la copine. Jacques ne s’éternise pas. Il aurait souhaité passer la soirée avec Léopoldine et Victor, leur raconter une histoire avant de les coucher et faire semblant de les dévorer en les couvrant de chatouilles. Les rires et les chatouilles seront pour Clarisse.
Jacques a les tripes nouées tandis qu’il roule vers le nord de Paris. La peur, l’angoisse de perdre Suzanne prend forme. Il sait depuis longtemps que la douleur est une compagne avec laquelle il faut vivre, ces années de bonheur ont fait de lui un homme vulnérable.
Suzanne n’a pas pris la fuite mais elle est en danger. Marcel est à Paris, il l’a certainement contacté. Il file directement jusqu’au XVIIIe. Après avoir fait le tour des cabarets, De la bourrique en rut au Lièvre agile, il atterrit au Secret Square, avenue des Ternes, dans le XVIIe, connu pour les spectacles sexy présentés au menu. Il y entre vers deux heures du matin accompagné des deux portes flingues de Charles. Il se fige aussitôt. Sur la scène, une belle rousse aux formes parfaites danse complètement nue. L’éclairage donne à son corps un aspect cadavérique. Son corps ondule sous les lumières changeant de couleurs et sous le regard fasciné des hommes, même accompagnés. Jacques a des envies de meurtres devant ces regards fiévreux dévorant le corps de Suzanne. Nul ne pourrait deviner que ce corps magnifique a donné naissance à deux enfants. Ses seins sont aussi fermes que ceux d’une jeunette de 20 ans et son ventre ne porte pas la marque du temps et des grossesses.
Il monte sur scène, la prend dans ses bras, l’enveloppe dans une nappe que le nain avait saisi au passage, faisant valser tout ce qui il y avait sur la table. Malgré le standing du lieu, personne ne bronche. La musique a cessé. La tension dans l’air est palpable.
Le visage de Suzanne n’est plus le même. Elle n’est plus là. Une folie intérieure semble l’habiter. Ses yeux ne voient rien de ce qui l’entoure, ses iris font des mouvements rapides qu’elle ne maîtrise pas. Elle est sous l’emprise d’une drogue.
Incapable de parler, Suzanne se laisse porter sans résister. Jacques la conduit jusqu’à la voiture sous la protection du duo de choc le suivant comme une ombre. Son cerveau bouillonne. Comment est-elle arrivée jusque-là ? Charles fréquente de temps à autre ce cabaret de luxe, avec ou sans Kate. Quelle est la connexion entre ce lieu, la disparition de Kate et la présence de Suzanne sur scène ?
Alors qu’il s’arrête à un feu, Suzanne murmure.
— Il est revenu, il a dit qu’il avait pris la vieille pute pour qu’il ne puisse pas t’aider. Et que je devais revenir rattraper le temps perdu.
Jacques fixe Suzanne dans le rétroviseur, elle ferme les yeux et s’endort. Il prend son portable.
— J’ai retrouvé Suzanne, il me faut un médecin et une planque avec une surveillance H24 pour toute la famille, nounou inclus. Je ne sais pas où est Kate mais je sais avec qui.
— J’envoie une équipe chercher ta famille, et toi, tu rappliques et tu m’expliques.
***

Dans le train qui l’emporte vers le sud, Suzanne tente de lire. Le paysage disparaît dans la nuit, elle n’arrive pas à se concentrer.
Elle n’a pas le choix pour sauver Léopoldine, Victor, Jacques et même Kate qu’elle ne connaît pas. Elle a appelé Marcel, elle revient.
Devant la porte du Club 53, quartier général de Marcel, Suzanne hésite un instant. Elle ouvre son sac, elle se remet une bonne couche de rouge à lèvres, puis avale le contenu d’une petite fiole. Marcel est installé dans un petit salon, un film porno tourne sur un écran géant. Personne n’y fait attention. D’un signe, il expédie tous les occupants de la pièce. Suzanne avance vers lui, tremblante, les yeux brillants. Il l’attrape par le cou, lui mange la bouche d’un baiser sauvage. Suzanne suffoque. Il la regarde, amusé par sa peur, fier de sa victoire. Suzanne vacille, s’accroche à une table. Elle se redresse.
— Je suis venue pour te voir mourir.
Marcel sourit et se sent invincible, il lève le bras pour lui rappeler qui commande. Puis, il s’effondre sur le canapé la bave aux lèvres.
Suzanne sort de son sac un bâton de rouge à lèvres et une fiole vide. Elle ouvre le rouge.
— Couleur Mortel baiser, il te reste 30 secondes. L’antidote dit-elle en lui montrant la fiole, dommage, j’ai tout bu. Suzanne rajuste sa tenue et sort.
– Personne ne rentre, il veut rester seul, dit-elle.
***

Une chanson est diffusée dans le train qui la ramène vers Paris
Et Suzanne tient le miroir
Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur…

***

Jacques et Charles ont retrouvé Kate à Marseille, droguée, cachée dans une planque. Après la mort du caïd, personne n’a pris le risque de toucher à Kate. Les rumeurs indiquant son lieu de détention sont rapidement remontées sur Paris.
Ce matin, jour de marché à Malakoff, Suzanne ouvre son magasin bio sur la place de l’Hôtel de ville. Il y aura du monde, il fait beau. Elle porte une robe légère, sa chevelure rousse tombe en cascade sur ses épaules. Elle irradie de bonheur, et enfin d’insouciance.

Nouvelle écrite au printemps 2019 à l’issue d’un cycle d’atelier d’écriture |le roman noir | Patrick Raynal

©Compartment C, car 293Edward Hopper, 1938, Huile sur toile 50,8 x 45,7 collection IBM, Armonk, New York
Paroles de Compartiment C voiture 293 © Lilith Erotica, Paroliers : Robert Briot / Hubert-Félix Thiéfaine
Suzanne, Traduction, Paroles de Suzanne de Leonard Cohen par Graeme Allwright,Cohen, Leonard © Sony/ATV Music Publishing LLC

Une réponse à “Suzanne”

  1. Cette longue histoire est prenante, j’ ai bien aimé…

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