Vous n’avez pas honte !

© Pexels Mart Production

J’avance dans la rue. Sac à dos sur le dos, je marche d’un pas tranquille. Je tiens mon chien de la main gauche et garde la droite libre au cas où. Ma canne est repliée dans ma poche.
Mon chien m’accompagne partout, l’avantage du handicap ! Je l’emmène à la banque, à la pharmacie, à la boulangerie, au travail…
Parfois, je repense à l’accident qui m’a couté la vue. Je ne ressens pas d’amertume ou de regret, juste une nostalgie. Celle de ne plus voir les couleurs, le ciel, l’horizon, les couchers de soleil, l’éveil de la nature au printemps.
Alors je compense avec mes autres sens. J’entends les saisons, le vent, la pluie, j’imagine le monde qui m’entoure. Il se colore d’odeurs et de parfums.
Mes oreilles, j’en ai fait mon métier. Je suis ingénieur du son chez Bose. J’adore mon travail. J’améliore les performances acoustiques du matériel sono haut de gamme.
J’aime rire. Au travail, ils ne tombent plus dans le panneau. Parfois, dans le bus ou dans la rue quand j’entends des gens rire, je me retourne brutalement et je leur lance sur un ton amer :
– Ah ! Quelle ambiance !
Je surenchéris sur un ton péremptoire :
– Qu’est-ce qu’on s’amuse !
Les rires cessent aussitôt. Les uns ne comprennent pas, les autres se demandent ce qui se passe.
– Ça vous fait rire ? j’ajoute parfois sur un ton inquisiteur.
Le groupe se disloque. Il devient le centre d’un conflit imaginaire, je sens le malaise s’installer. J’imagine les visages dépités, embarrassés. Je les achève en leur lançant :
– c’est moche de se moquer d’une aveugle !
Intérieurement c’est l’euphorie, je me roule par terre. Si certains tentent l’excuse ou l’explication. J’y mets un haut-là immédiat :
– Taisez-vous, vous n’avez donc pas honte ! Leur dis-je alors que je m’éloigne avec mon chien en utilisant ostensiblement ma canne.

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