Une vie en quelques lignes

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Ingénieur agronome, tu avais un bon poste chez Eurogen, tu triturais le génome des haricots et du maïs pour les rendre plus résistant à la maladie, aux ravageurs, aux intempéries.
Tu faisais des miracles en éprouvette, mais tu rêvais d’un autre miracle. Tu avais envie d’y aller dans les champs, de voir le blé verdir puis jaunir ; de soulever des nuages dorés lors de la moisson.
Quand tu as vu Christine alors que tu rencontrais son grand-père qui louait ses terres pour faire pousser tes nouvelles semences, ça a été lumineux.
Vous vous êtes revus, vite mariés, les enfants sont arrivés. Trois garçons, Christine était ravie, elle les voyait déjà reprendre la ferme du grand-père. Ils ne grandissaient pas assez vite.
Tu as gardé ton travail chez Eurogen, il te prenait tout ton temps.
Christine avait repris les terres du grand-père trop fatigué pour continuer, elle avait de nombreux apprentis mais un homme manquait à la ferme. Elle n’avait pas de frère et aucun de ses cousins n’étaient intéressés.
Les garçons travaillaient assez bien à l’école. Les deux grands voulaient te ressembler, faire une école d’ingénieur. Ils ont fait une classe prépa qui les a emportés vers la capitale, mais aucun ne s’est tourné vers l’agronomie. Le premier fait une brillante carrière dans le domaine de la cybersécurité, le second brasse des sommes considérables, qui te laissent pantois, dans l’immobilier. Le dernier a fait le conservatoire de musique de Paris. Personne ne sait d’où lui vient cette passion. Violoniste, il vit à Paris, il voyage beaucoup, donne de nombreux concerts.
Quand le grand-père est mort, les garçons, qu’on ne voit plus beaucoup, sont venus à l’enterrement mais ils sont très vite repartis.
Le désarroi de ta femme t’a laissé sans voix. Elle avait porté la ferme seule toutes ces années. Quand un cancer du sein l’a cloué au lit, tu as enfin abandonné tes éprouvettes, tu as pris le relais. Suivant ses conseils tu dirigeais les apprentis, tu travaillais la terre, tu semais, tu te levais avec le soleil, et t’endormais quand il déclinait.
Christine était radieuse malgré la fatigue, son rêve se réalisait, vous deux ensemble à la ferme.
Puis ils ont interdit tous les traitements phytosanitaires, cela faisait longtemps que tu traitais avec parcimonie, tu employais des produits plus cher qui se dégradaient sans polluer. Tu savais les dégâts que causaient les pesticides. Les copains de la coopérative te chambraient souvent, tu t’en fichais d’avoir un moins bon rendement, tu faisais ce que tu voulais, tu prenais soin de la terre, tu réalisais ton rêve. À la coopé, ils organisaient des manifs devant la préfecture d’Orléans.
Tu rentrais souvent en colère, quelquefois hilare comme le jour où ils ont vidé une fosse à purin devant la mairie. Christine allait de mieux en mieux, jusqu’au jour où la manif a dégénéré.
Maintenant les garçons viennent plus souvent. La ferme est a l’abandon, les terres sont en friche.
Christine refuse de sortir de son lit, elle tient le journal froissé avec un gros titre « une manifestation qui tourne mal devant la préfecture d’Orléans, un agriculteur meurt lors d’une charge des CRS ».

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