La fillette des buissons ardents

Après la sortie de l’école, les enfants et les parents s’arrêtent au parc coincé entre le périphérique et le groupe scolaire regroupant l’école maternelle, l’école élémentaire et le collège. Le parc est tout en longueur, protégé des nuisances sonores par un haut talus aménagé d’arbustes. Les plus petits jouent dans le bac à sable. D’autres enfants courent vers la partie jardin. Ils dépensent le trop plein d’énergie d’une journée d’école. Il fait beau, c’est presque la fin de l’année.
– « Mais qu’est-ce qu’elle fabrique dans les plantes celle-là ! » marmonne le vieil homme qui longe le parc. Il avance lentement, un peu courbé, la main sur sa canne. Il porte un chapeau pour se protéger du soleil. Il dodeline de la tête pour manifester son mécontentement.
Au loin, une petite fille brune âgée de quatre ou cinq ans s’amuse un peu à l’écart des autres enfants. Ils jouent à cache-cache. La fillette s’est éloignée, elle se dissimule derrière les pyracanthas. Un choix malheureux.
Les adultes assis sur un banc à discuter ne voient pas la fillette sortir des arbustes de l’autre côté du parc.
Aucun des enfants ne s’est aventurés vers les buissons ardents en haut du talus. Ces plantes aux petites feuilles et aux boules rouges portent des épines.
Personne n’a trouvé la petite fille, elle sort de sa cachette, elle avance prudemment pour éviter les nombreuses épines qui lui griffent les chevilles. Le vieil homme continue sa progression, il est agacé et peste contre tout.
Pour rejoindre les autres, elle doit marcher sur les petites boules rouges qui tapissent le sol jusqu’au grillage. Elle chemine lentement dans ces plantes épineuses et tente de poser les pieds dans les endroits plus clairsemés.
L’enfant n’a pas remarqué le vieil homme qui l’observe d’un air accablé. Il secoue désespérément la tête. La petite descend le talus, elle se tortille, elle cherche des passages moins denses, retient ses cris lorsqu’elle se pique les pieds. Elle entend alors le vieil homme.
— Tu ne peux pas retourner chez toi au lieu d’écraser les plantes du jardin ?
Surprise, elle le regarde, elle se retourne. Elle est seule. Elle ne comprend pas à qui s’adresse ce vieil homme. Qui doit rentrer chez qui ?
Elle revient à son douloureux labyrinthe. La remarque glisse sur son innocence. Elle l’oublie. L’homme est certainement un peu dérangé. Elle a mal aux pieds, et le vieil homme ne semble pas vouloir l’aider.
Elle l’ignore et continue sa lente marche pour sortir des buissons ardents. Elle y parvient et rejoint les autres enfants en courant.
Ce n’est que bien des années plus tard qu’elle comprend le sens des paroles du vieil homme. Il lui est impossible de se souvenir à quelle occasion ces paroles lui sont revenues à l’esprit.
Vient-elle d’entendre une méchanceté qui a fait remonter ce souvenir enfoui ? Elle ne le sait pas, elle l’a laissé glissé.

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