Dehors, la lumière est crue. Devant la porte du Centre Médico Psychologique, quelque chose cède en moi. Bruit sec, encore. Mes jambes se mettent en mouvement d’elles-mêmes. Je marche sans savoir où. Je dérive dans les rues de la ville. Alors les mots commencent à affluer. Ma bouche est pleine. Besoin d’air. Je n’ai pas peur. Je laisse monter la langue nouvelle.
et j’ai appris
comment se dessinent les fissures sous mes pas,
comment surgit la révélation,
la vérité grave sur l’asphalte des trottoirs, les lignes de nos destinées brisées,
comment les herbes vertes ou les herbes jaunes, entre les pavés, sont les messagers du temps,
comment la beauté se fane sous les néons blêmes
et, dans un souffle d’essence, comment vibre la ville
comment mes yeux s’ouvrent, il est caché sous le pull rouge qui sèche, témoin d’une existence
comment le chat tigré me reconnaît, gardien silencieux des secrets de la rue
comment la femme ajuste son foulard, cache ses tempes grises, elles racontent l’histoire
comment j’entends la symphonie des jours,
grondements, claquements, sirènes, sanglots
comment l’odeur de café se mêle aux chagrins
amertume des larmes, acidité des peurs
comment le vent porte les frissons des solitaires
l’écorce rugueuse révèle nos blessures communes
Puis, silence.
Je m’arrête net au coin de la rue. Appuyé contre le mur, l’homme aux cheveux de cendre porte un costume froissé. Il me regarde, l’air moqueur flotte sur son visage. Son souffle court forme de petits nuages dans l’air froid. Il a entendu. Il sait les mots venus. Ses yeux brillent d’une ironie cruelle, il se délecte de ma naïveté. Un peu de salive séchée s’accumule à la commissure de ses lèvres. « Vous croyez être la seule à les voir ? » ricane-t-il en se détachant du mur. « Les fissures » Son sourire s’élargit et découvre de mauvaises dents.