Paris XV. La devanture de la boutique de fleurs, la calligraphie du nom de la boutique comme si écrit à la main.
Dans un coin de la vitrine des roses éternelles figées par traitement et coloré en rouge carmin, une fleur de cinéma dans une bulle de verre
À sa gauche, la pharmacie à l’angle des deux rues. La croix verte allumée tous le jour, au-dessous dans un petit rectangle défile la date, l’heure et la température qu’il fait.
L’été, un platane à l’écorce tricolore dont les morceaux les plus sombres se détachent comme si l’arbre avait trop chaud lui aussi.
L’immeuble en pierre de taille sur six étages au-dessus du fleuriste, les balcons ornés de rambardes en fer forgé noir ébène, de hautes fenêtres exhibent des plafonds moulurés et des luminaires clinquants aux yeux des passants rêveurs.
La poussière vole dans l’air sec, pique les yeux, irrite la gorge. D’invisibles moustiques s’attaquent aux bras et jambes dénudés.
Issy-les-Moulineaux. La médiathèque aux parois vitrées, deux étages cubiques de savoir posés dans la ville, à l’ouest un stade, à l’est un conservatoire et au sud un immeuble récent dont la façade au ravalement de couleur crème reflète les rayons du soleil. La salle de travail pleine à craquer il y a encore quelques jours de lycéens et d’étudiants qui bachotaient.
Les huisseries extérieures rectangulaires, gris anthracite, RAL 7016, les spacieuses terrasses garnies de verdure aux coins des derniers étages ne font pas oublier la ville.
Plusieurs magnolias grandiflora bordent la rue, fleurs majestueuses blanc crème posées ça et là sur le feuillage luisant, quelques fruits en forme de pomme de pin tournés vers le ciel.
On entend les exclamations et le ballon qui rebondit sur le terrain de basket. Des adolescents simulent un match interclub.
Un filet vert bouteille tendu entre la rue et le terrain de basket monte sur 8 mètres de haut.
Une femme d’un certain âge veut entrer dans la pharmacie. Elle porte des lunettes de vue, une robe claire et des chaussures plates. Elle passe devant l’entrée et met la main sur la verre de la devanture comme pour pousser la porte.
La femme voit la ville comme si elle ouvrait les yeux sous l’eau. Une tache noire au centre de son champ de vision masque l’essentiel. Elle « joue » avec la vision périphérique pour percevoir et se déplacer. Elle avance sans canne blanche, sans mettre les mains en avant. Handicap invisible. On ne peut pas savoir.
Devant le désarroi de la femme, la cliente qui sort lui indique l’entrée sans la toucher. Les portes s’écartent et la femme demande « je peux entrer maintenant ? »