Fin d’atelier

© KBSL’atelier d’écriture se termine sur quelques mots d’encouragement à persévérer. Je range mon ordinateur dans mon sac à dos. Quelques-uns s’attardent et interrogent l’intervenant dans l’espoir d’avoir une corde supplémentaire à leur arc ou une astuce miracle qui leur permettrait d’emporter l’émulation du jour.
Soudain, un énorme fracas retentit, le sol tremble. Des regards se croisent, puis c’est la débandade. L’intervenant sort le premier, oubliant son rôle de leader. Je suis. Je ne me pose pas de question. J’arrive au métro, je n’ose pas y pénétrer, le sol tremble. De violentes vibrations pulsent comme si les galeries du métro s’entrechoquaient. Je jette un œil vers  le bas de la rue Saint-Jacques, la Préfecture de police s’effondre. Une seule chose me vient à l’esprit, ma famille. Je cours en direction du Panthéon, des femmes et des hommes hurlent. Les chauffeurs de bus ne s’arrêtent plus aux arrêts, les conducteurs grillent les feux rouges. Un carambolage bloque la rue Saint-Jacques et le boulevard Saint-Germain. Je remonte la rue Saint-Jacques au pas de course, je reste au milieu de la chaussée pour éviter les chutes de pierre qui se décrochent des façades. À l’angle de la rue des Écoles, un SDF sort du Vieux Campeur les bras chargés de chaussures de marche, doudoune, tente, duvet. C’est l’homme le plus lucide que je croise. Le pare-brise d’une voiture stationnée explose, une brûlure sur ma joue, je ne m’arrête pas. Le sol ne tremble plus. Je veux voir mes enfants, mon mari, ma famille. Arrivée au croisement de la rue Soufflot, je jette un œil sur ma gauche, la coupole du Panthéon est ouverte sur le ciel. Quelque chose de chaud coule sur ma joue. Je bifurque vers le Luxembourg. Le parc me semble moins dangereux. J’avale ma salive, un goût de fer dans la bouche. Je coupe vers le Sénat, un immense cordon de force de l’ordre empêche la foule de prendre la sortie proche du musée du Luxembourg. Je n’arrive plus à respirer, je me dirige vers celle du Port-Royal. Mon cœur cogne dans ma poitrine, mes jambes tremblent et me tiennent à peine. Un homme me saisit le bras, il me parle de ma joue ensanglantée, je me libère, je n’ai pas le temps, je ne veux pas l’écouter. Deux automobilistes échangent des coups d’une extrême violence, les bus bloquent les rues, la circulation est bloquée par les bus et les voitures abandonnées. Il me faut atteindre Montparnasse pour rejoindre Malakoff. Je pense à la tour Montparnasse et aux de lignes souterraines de métro. Je ne sais plus quoi faire.
Un scooter chute devant moi pour éviter une portière qui s’ouvre brutalement. Le jeune homme se relève, fonce sur le conducteur pour en découdre. Je relève le scooter, je file vers Malakoff, je ne pense qu’à ma famille, je suis anéantie, toute émotion m’abandonne, une idée fixe, retrouver les miens. Je croise des gens blessés, terrifiés, rien ne m’arrête. Un homme me barre la route, je l’évite. Ce scooter vient de prendre de la valeur. La vision de place Denfert-Rochereau est apocalyptique, le lion de Belfort est à terre. J’emprunte l’avenue du Général Leclerc, les scènes des pillages se succèdent. Place d’Alésia, l’église sonne. Je suis surprise que son clocher tienne encore debout, je m’étonne un très court instant d’avoir une pensée rationnelle. Je roule sur les trottoirs, je redescends sur la chaussée, je bouscule, je klaxonne sans retenue, j’atteins la porte de Châtillon, encore des scènes de pillage, le Monoprix et le Decathlon sont pris d’assaut. Des gens poussent des caddies pleins d’objets hétéroclites. J’évite l’avenue Pierre Brossolette, les forces de l’ordre détournent la circulation, des cavités très profondes sont apparues, de nombreuses carrières sont à ciel ouvert. J’arrive au conservatoire de Malakoff. Il n’y a plus de panique, les rues sont vides, le scooter tombe en panne. Je l’abandonne sans réfléchir. Je tente de courir. Je n’y parviens pas. Je marche vite, je ne peux pas aller plus vite, je ne vois pas ma maison. Je me rapproche, un cratère fumant ouvre une gueule obscure. J’appelle les miens. Un silence de mort me répond. Je crie. Je hurle plus fort, soudain mon chien aboie. J’ouvre les yeux, je m’assois, tétanisée de joie dans mon lit !

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