Tu jouais dans le jardin un concerto de Rachmaninov. J’étais ton public. Tu n’en voulais pas d’autre. Fugues, concertos, sarabandes s’enchaînaient. Mon regard et mon écoute valaient les plus grandes salles. Incorrigible flatteuse. Tu m’as pris par les sentiments. Tu entamais le deuxième mouvement lorsque les premières gouttes sont tombées. Tu t’inquiétais pour ton violoncelle. J’aurais souhaité que tu joues sous cette averse. Que le temps s’arrête. Que notre bonheur se fige dans cet instant pour l’éternité. Dans l’entrée, j’essuyais délicatement les quelques gouttes qui perlaient sur le précieux instrument. Tu as levé vers moi un visage rayonnant de bonheur que jamais je n’oublierai, tu étais rayonnante, nous étions heureux. Tu m’as fixé et ton sourire a changé. Malgré moi, j’ai eu peur. Tu m’as dit en prenant un air solennel : « Nicolas, j’ai une grande nouvelle ». J’ai cessé de respirer, un sentiment de peur m’a gagné. J’ai prié pour entendre l’annonce d’un énième concert au bout du monde. « Nous allons accueillir quelqu’un à la maison. » Devant mon air ahuri, tu as mis la main sur ton ventre pour compléter son annonce. Fous de joie, nous avons fêté l’heureux événement à venir autour d’un excellent. Nous avons parlé toute la nuit, nous avons fait de grands projets, nous avons imaginé la maison emplie de nouveaux bruits. Des pas d’enfants, des rires, des cris de joie, des jérémiades… J’aimerais te dire ce que je ressens. Notre grande maison déborde d’un funeste silence. Aucun rire, aucun pleur, le violoncelle est muet. L’enfant n’est pas venu.
Texte écrit au cours d’un atelier d’écriture avec Christian Séranot à l’Entrepôt (08/12/2017)