Le café refroidit dans la tasse. Je ne l’ai pas bue. Pourquoi est-ce que je prépare du café chaque matin alors que la moitié du temps je le laisse refroidir sans y toucher ?
Ma mère a appelé hier. Je n’ai pas décroché. Pourquoi est-ce que je fuis les voix de ceux qui m’aiment le plus ?
L’enfant pleure dans le train. Tout le monde détourne le regard. Certains agacés par le bruit soupirent bruyamment. Pourquoi faire semblant de ne pas voir la détresse quand elle est trop proche de nous ?
Mon chien me regarde avec adoration inconditionnelle. Je l’ai acheté pour deux cents euros il y a cinq ans. Pourquoi acceptons-nous l’amour d’un être que nous avons acquis comme une marchandise sans que cela nous dérange moralement ? Nous le pleurons même lorsqu’il meurt.
J’ai répondu « ça va » au collègue qui demandait. C’était un mensonge évident. Pourquoi se forcer à mentir ? Pourquoi inventer une formule qui interdit toute vérité ?
Les pigeons se battent pour des miettes. Il y a du pain partout autour d’eux. Pourquoi chercher la guerre même dans l’abondance ?
Je garde des vêtements que je ne porte plus. Certains depuis dix ans s’entassent dans l’armoire. Pourquoi est-ce que je m’accroche à des versions de moi qui n’existent plus ? Comme si je ne voulais pas laisser le temps passé disparaître. Cette nostalgie est parfaitement ridicule.
Le voisin tond sa pelouse chaque dimanche matin. Elle est déjà parfaite. Pourquoi cette obsession de contrôler ce qui pousse naturellement ?
J’ai supprimé le message avant de l’envoyer. C’était pourtant ce que je voulais dire vraiment. Pourquoi est-ce que je censure mes vérités avant même qu’elles n’existent pour les autres ?
Mon père disait toujours qu’il voyagerait plus tard. Il est mort à soixante-deux ans. Pourquoi remettre à demain ce qui donne un sens à aujourd’hui ? Il n’a jamais pris l’avion.
L’arbre pousse à travers l’asphalte. Il fend le bitume avec patience. Ses racines soulèvent le trottoir. Pourquoi se penser plus fort que la nature ? Simples fétus de paille que nous sommes.
Il frappe sa femme. Tout l’immeuble entend, mais personne n’appelle la police. Pourquoi est-ce que la peur de se mêler de ce qui ne nous regarde pas est plus forte que celle de devenir complice ? Ce soir, un calme assassin règne dans l’immeuble.
Dans un soulagement honteux, j’ai pensé à la mort de mon collègue. Sa promotion m’échoit maintenant. Pourquoi nos instincts les plus sombres se cachent-ils juste sous la surface de nos sourires polis ?
Le médecin m’a annoncé que je vivrai peut-être encore trente ans. J’ai été déçu que ce ne soit pas davantage. Pourquoi voulons-nous toujours plus de temps alors que nous ne savons déjà pas quoi faire de celui que nous avons ?
Je lis les mêmes livres plusieurs fois. J’en ai des centaines que je n’ai jamais ouverts. Pourquoi préférer le confort de ce que je connais à la promesse de ce que j’ignore ?
Elle a dit « je t’aime » en partant. Je n’ai rien répondu. Pourquoi est-ce qu’on attend la perte pour mesurer ce que ça pesait ?
Les étoiles que je vois cette nuit sont peut-être mortes depuis des milliers d’années. Leur lumière voyage encore vers moi. Pourquoi être touchés par des choses qui n’existent plus ?
Mon frère ne me parle plus depuis trois ans. Je ne me souviens même plus de la raison du conflit. Pourquoi laissons-nous l’orgueil construire des murs plus solides que l’amour n’en a jamais bâti ?
J’ai rêvé cette nuit d’une maison que je n’ai jamais visitée. Pourtant je connaissais chaque pièce. Pourquoi nos esprits contiennent-ils des lieux où nos corps ne sont jamais allés ?
La vieille femme sourit à tout le monde dans le bus. Peu de gens ne lui répondent. Pourquoi certains ont peur de la gentillesse comme s’il y avait forcément un piège derrière un sourire ?
J’écris ces questions sans savoir les réponses. Peut-être qu’il n’y en a pas. Pourquoi cherchons-nous du sens dans un monde qui n’a peut-être aucun ? Pauvres animaux perdus.
Il pleut et quelqu’un quelque part trouve ça beau. Il fait soleil et quelqu’un d’autre pleure quand même. Pourquoi cette absurdité magnifique ? Pourquoi poser des questions sans fond ?
J’ai vu l’accident ce matin sur l’autoroute. Mon premier réflexe a été de regarder s’il y avait du sang. Pourquoi le spectacle de la destruction nous attire comme des papillons de nuit vers la lumière ?
Mon fils a écrasé une araignée devant moi. Il a ri en voyant les pattes bouger encore. Pourquoi la cruauté apparaît-elle si naturellement chez les enfants ? Sont-ils innocents ?
Elle a perdu son bébé au sixième mois. Les gens ont dit « tu es jeune, tu en auras d’autres ». Elle a pleuré pendant des mois. Pourquoi ne parvenons-nous pas à nous mettre à la place de l’autre pour mieux comprendre sa souffrance ?
Le clochard demandait de l’argent pour manger. J’ai détourné les yeux en accélérant le pas. Pourquoi est-ce que je peux passer devant la souffrance cinq fois par jour et continuer à penser que je suis une bonne personne ?
Mon grand-père ne reconnaît plus personne. Il appelle sa femme morte depuis vingt ans. Il me prend pour son frère quand je viens le voir. Pourquoi n’ai-je pas le courage de lui offrir une sortie digne ? Au nom d’un amour égoïste, pour le garder plus longtemps encore près de moi ?