Maux dormants (extrait)
Un bruit continu lui vrille les tympans, son crâne est prêt à exploser. Dans un cri muet, elle ouvre la bouche, la douleur retient le son. Le bruit s’éloigne. Sonnée, il faut un temps à l’enfant pour sentir la perle visqueuse couler le long du sourcil, contourner l’œil puis la narine. À la commissure des lèvres, la langue l’attrape. Un goût de fer dans la bouche.
Que fait-elle dans l’obscurité ? Le vent dans les branches distille d’effrayantes mélopées. Dans la nuit, des bruits inconnus l’entourent. L’enfant ne voit rien, seule une lumière orange éclaire l’obscurité par à-coups. Elle est attachée, coincée de guingois sur un siège trop grand. Elle a le souffle court. Une odeur de terre emplit l’habitacle, envahit ses narines et sa bouche jusqu’à l’écœurement. L’enfant vomit son repas du soir. Les branches furieuses s’acharnent. Pressées par les bourrasques, elles cognent contre le toit. La lumière orange clignote suivant un rythme brisé. À chaque flash, l’enfant entrevoit l’écorce rugueuse d’un tronc d’arbre déformée par les éclats de lumière. La vision est fugace, presque irréelle, comme si la nature elle-même faisait irruption dans l’habitacle.
Tout à coup, la faible lueur orangée bat avec impatience, suivant un rythme régulier et entêtant, tic, la lumière orange s’allume, tac, elle s’éteint. Tic-tac, tic-tac. La brume flotte partout. L’air glacé s’infiltre sous ses vêtements. L’enfant tremble, mais elle a la sensation que ce n’est pas le froid qui agite son petit corps.
Elle inspire sans bruit juste ce qu’il faut d’air pour respirer comme si elle était enfermée dans un lieu hermétiquement clos. Des effluves d’humidité, de fortes odeurs de champignons et de feuilles mortes saturent l’air. Les branches craquent et fouettent rageusement la carrosserie. Une chouette s’envole, ses ailes brassent lourdement la nuit. La brume l’encercle. « Maman », chuchote l’enfant. D’une voix mal assurée, elle ose un peu plus fort « Maman, au secours ».
Les petits bruits de la nuit hurlent l’absence d’activité humaine. L’enfant frissonne, elle est perdue, personne ne la trouvera jamais. L’odeur de terre la suffoque. Implacable, la lumière orangée clignote. La brume gêne sa courte respiration. Elle entend de légers coups frappés sur la tôle, comme de petits cailloux qu’on lancerait. Puis, les petits cailloux tombent en un flot continu, déchaîné. Le tonnerre gronde et claque, libérant des éclairs effrayants. Les flashs montrent un arbre gigantesque contre lequel la voiture semble faire corps. Il pleut fort. L’eau et le froid pénètrent sous ses vêtements et l’engourdissent. Elle tape des pieds contre le siège, contre le tableau de bord, elle n’a pas assez de force pour se détacher.
L’enfant inspire davantage d’air, y trouve quelque courage. Avec prudence, elle tourne la tête. La brume se dissout. La femme à ses côtés ne bouge pas, ses yeux sont fermés. De sa bouche ouverte dépasse un bout de langue sanguinolente. L’enfant hurle. Un cri inarticulé sort de sa gorge. L’enfant ne voit rien, n’entend rien. Elle n’est qu’un hurlement.
Soudain, venue de nulle part, la voix d’une fillette rassure. L’enfant sent une petite main saisir la sienne. La peur s’éloigne. La main est chaude, fraternelle. La petite fille se presse contre elle si près qu’elle n’a plus froid. Réconfortée par cette présence, l’enfant s’endort bercée par le cliquetis de la lumière orangée.
(…)